Bien à Bienne : Plus dure sera la chute

Plus dure sera la chute

04/01/2012 | Plus dure sera la chute

C'est le soir, les derniers magasins ouverts rentrent les stenders qui ornent leurs devantures.
Dans la rue Centrale, fermée à la circulation, des dizaines de personnes rentrent chez elles, sortant du travail ou des boutiques, en discutant
gaiement.
Pour me rendre chez ma mère, j'ai le choix de passer ou pas par la rue du Yucca.
Je me rends compte qu'à Bienne, tout le monde sait ou est le Yucca, mais je n'ai aucune idée du nom de la rue.
Alors, parlons-en du Yucca.
C'est un endroit particulier, impensable chez nos amis français par exemple, mais indispensable pourtant.
C'est un restaurant qui pourrais ressembler à n'importe quel autre restaurant de quartier "bas de gamme" comme dirais mon ami Olivier.
Des larges tables, simples, un comptoir, et un coin fumeur à part séparé par une vitre.
Ce qui différencie surtout le Yucca, des autres établissements du genre, c'est sa clientèle.
Marginale.
Toxicomane.
Polytoxicomane.
Alcoolique.
Mais nous sommes à Bienne, et à Bienne rien n'est comme ailleurs.
Dans le panachage de nationalité, de sexe et d'âge, de vieux habitués et de jeunes fraichement tombés, on ne retrouvera pas les traditionnels
dealers de coke africains qui hantent désormais toutes les villes d'Europe.
A force de passer devant, de m'arrêter pour papoter avec un ami de jeunesse, je l'ai remarqué.
Des africains qui vendent de la coke, il y en a, à Bienne autant qu'ailleurs, mais ils ne s'aventurent pas au Yucca.
Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu'ils sont trop repérables?
Peut-être parce que la présence policière assez constante sur les lieux les effrayent?
Ca doit être ça. Dans le Yucca, et devant le Yucca, les contrôles sont fréquents, et donc, ce n'est pas le lieu idéal pour quelqu'un qui n'a pas ses papiers en règle.
si je parle de ça, c'est que justement, alors que j'hésitais sur la route à prendre, j'ai compris qu'une descente avait lieu,sur les lieux.
La présence d'une camionette de police, de policiers, en uniforme et en civil qui embarquaient des gens.
Dans le calme. On est en Suisse, mais on est à Bienne surtout.
C'est un peu comme si se jouait une partie de "gendarmes et voleurs".
Une fois pris sur le fait, personne n'essaie de s'enfuir , personne n'insulte les représentants de l'ordre.
D'un simple geste de ceux-ci, les soupçonnés s’exécutent, retournent leurs poches, présentent leurs papiers, suivent le mouvement qu'on leur ordonne.
Sans rechigner, sans insulter personne. Ils le font. Point. C'est la loi et ils sont en faute. Ils le savent et en acceptent les conséquences.
Parfois, même, ils plaisantent. A force, ils les connaissent ces policiers, et peut-être même qu'ils en respectent certains.
D'ailleurs, ils leurs donnent des surnoms qui ne sont jamais méchant.
En comparaison, quand je vois des reportages sur ce qui se passe en France, ou les cailloux pleuvent sur les véhicules, quand ce n'est pas sur les hommes!
Il y a un gouffre.
Pourtant, nos policiers n'ont pas besoin de sortir leurs armes, ni de revêtir des gilets pare-balles.
Je ne dis pas que la joie règne, mais en tout cas pas les démonstrations de force et d'agressivité que l'on peut voir ailleurs.
Mais ailleurs, en France plus exactement, un Yucca serait impensable, surtout surmonté au premier étage d'un "Cactus" (le local d'injection et autres moyens de consommation).
Pourquoi je vous parle de ça?
Parce que je crois justement que cette tolérance très relative que nous avons chez nous, permets d'éviter une part de violence certaine.
Au fil des années, il est clair que la situation s'est dégradée et que je comprends le voisinage qui en à marre de retrouver des traces de débauche,
malgré la présence de la poubelle réservée aux seringues.
Les altercations, l'état de certains, je comprends bien que cela puisse faire peur.
Mais le restaurant ferme assez tôt, et une fois la porte close, les gens rentrent chez eux.
La rue redevient "normale" jusqu'au lendemain matin.
Cette concentration, dans un endroit prévu à cet effet, permets à cette classe de population d'avoir un endroit ou ils ne seront jugés que par leurs pairs.
Ca permet à la police de prendre le pouls du trafic.
Les petits trafiquants qui essaiment devant et dedans ne s'y enrichissent pas.
Alors, comprenons nous bien : je ne dit pas que c'est bien.
Je décris et constate.
Je m’inquiète aussi.
Que ce passera-t-il lorsque le Yucca fermera, comme il est prévu?
Si on le remplace, on déplacera le problème, c'est tout.
Si on le mets dans une rue isolée, on risque d'assister à de nouveaux drames.
Si on ne le remplace pas, alors, c'est dehors que ça se passera, et ça deviendra encore plus visible.
J'en parle aussi parce que j'ai été choquée ce soir, par ce que j'ai vu.
Tandis que les policiers campaient devant , forcement les activités délictueuses avaient cessé.
Assis sur les marches d'escalier d'une maison voisine, un couple se tenait.
Lui visiblement très en manque.
Il pleurait et vomissait, c'était pathétique.
Sa compagne, elle n'avait apparemment pas ce problème, mais elle compatissait à celui de son compagnon.
Et tandis que tout ceux qui auraient pu lui vendre quelque chose se faisaient arrêter.
D'autres, aux intentions moins claires tentaient de profiter de leur détresse.
Genre : donne moi ton argent, j'ai rien sur moi mais j'irai te chercher..
La jeune fille paniquait, mais restait fermement décidée à protéger son copain.
Faisant de son problème le sien.
Pour le meilleur et pour le pire.
Je n'ai pas supporté ce spectacle.
J'ai fait demi-tour.
Mais en rentrant chez moi, une note d'espoir m'est parvenue.
Parce que nous sommes à Bienne, et qu'à Bienne on trouve aussi des gens qui s'en sortent.
Lorsque j'ai aperçu cette autre femme, sur son vélo, j'ai vu tout de suite qu'elle avait quelque chose de changé.
Et tandis, que nous faisions un bout de route ensemble, elle m'a expliqué comment toute seule, elle avait vaincu son addiction.
Sans détester rien ni personne, sans se sentir "sauvée" pour autant.
Un travail, une famille, des projets, une vie.
Et ça m'a fait plaisir.
Alors voilà.
Finalement, on voit ce qu'on veut, à Bienne.
Suivant par où l'on se promène.
On peut aussi ne pas se sentir concerné par les soucis des autres.
Moi, tout ce que je sais c'est que tout est lié.
Comme une grande chaîne.
Ne pas se préoccuper des maillons faibles, c'est prendre le risque de briser cette chaîne.
Vouloir une ville propre est une utopie dangereuse.
Ca me fait penser à L'Alkitreff, la petite cabane des alcooliques.
Elle dérangeait qui cette petite cabane?
Maintenant, quand je passe devant l'endroit ou elle se tenait au bord de la voie ferré sur la place Walser,
l'endroit me semble encore plus froid et dépourvu d'humanité.
Tout ça parce qu'elle heurtait la vision de quelques bien pensant, qui voulaient voir.. qui voulaient voir quoi au fait?
Qui refusaient de se confronter à la misère humaine.
Ah oui, c'est vrai! à eux, ça n'arriverait pas..
Souhaitons qu'ils vieillissent en bonne santé.
Qu'aucune suite de malheurs ne viennent péricliter leur bel équilibre.
Souhaitons le pour eux, parce que, comme dit le proverbe chinois :
plus on s’élève,

plus dure sera la chute.

01:57 Publié dans histoire vraie | Tags : bienne, yucca, marginaux | Lien permanent | Commentaires (2) | Trackbacks (0) |

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Commentaires

ça me fait penser à la jungle à calais

chez nous arrivent tous les désespérés qui veulent aller en angleterre

pendant des années à sangatte la croix rouge avait un refuge , puis ça a été rasé
maintenant les immigrés vivent dans les dunes et les bois, la jungle

régulièrement leurs abris sont démolis par la police
aucune solution à ce problème
personne ne veut de ces gens

Écrit par : clara | 04/01/2012

oui, c'est ça. J'avais vu un reportage sur le sujet qui m'avais retournée.

Écrit par : cat | 05/01/2012

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